Thérapies : Impact du Covid sur les traitements psychothérapeutiques

par adm
Thérapies : ce que le Covid a changé

Plutôt audio ou vidéo? Chez vous ou dans la voiture? Avec la pandémie, le cadre, la forme et le fond des séances ont profondément changé. Enquête sur les bouleversements en cours.

« Alors, comment ça va, docteur? », « La forme? », « Et la santé? », « Pas trop froid? » On imagine déjà les patients proposer une petite laine, un paquet de mouchoirs, un plaid à ceux qui sont censés prendre soin d’eux. Ils n’ont pas complètement tort: les psys ont été sérieusement ébranlés par la pandémie. Non seulement parce qu’ils se sentent, comme tous, menacés par le virus, qu’ils sont confrontés à des souffrances qui se multiplient et des demandes de consultation qu’ils ne peuvent assumer. Mais aussi parce que les obligations sanitaires ont pulvérisé les principes intangibles de galaxies pourtant jusqu’ici solidement arrimées – pour ne pas dire cramponnées – à des règles fixées depuis une éternité. Aucun doute là-dessus: quelle que soit l’orientation, lacanienne, freudienne, gestaltiste, intégrative, hypnothérapeutique, comportementaliste, psychiatrique…, les psys sont en train de réviser bien des certitudes théoriques et cliniques. Ils ont dû modifier leurs pratiques avec un recours forcé aux séances à distance par audio ou visioconférence. La forme et le fond des thérapies ont changé. Revue de détail des grandes interrogations et changements en cours.

1 Transferts bouleversés

Le virus rebat les cartes d’un mécanisme clé: le transfert. De quoi s’agit-il? Pour Jacques Lacan, d’un processus dans lequel le patient/analysant pense – à tort – que son psy sait de lui ce qu’il ignore encore. Le psy occupe une position de surplomb: il reçoit dans son cabinet quelqu’un qui se déplace pour venir le voir. Avec le Covid, tout a changé. D’abord le lieu: pendant le premier confinement, les séances, c’était chacun chez soi en visio ou en audio. Et puis, surtout, «le risque de la maladie a égalisé les positions. Cela a permis au patient de dire ce qu’il pensait de la fragilité de son analyste et à ce dernier de dire beaucoup plus de choses de lui que d’habitude», éclaire la philosophe et psychanalyste Monique David-Ménard. Psychanalyste, sexothérapeute et superviseur de confrères, Alain Héril confirme que «les thérapeutes vivent dans l’angoisse, la peur et l’incertitude avec la pandémie. Il y a l’idée que tout le monde est sur le même bateau». Ce qui n’est pas sans inconvénient, a pu noter Cécile Guéret, gestalt-thérapeute: «Dans un contexte commun à tous, il est parfois plus difficile d’identifier les spécificités cliniques d’un patient, de le rejoindre dans la singularité de son expérience. J’ai beaucoup plus besoin de supervision que d’habitude. Cela permet de détricoter ce qui relève de mon vécu et de celui de mon patient.»

2 Pratiques renouvelées

Pour beaucoup de psys, les séances à distance étaient jusqu’ici inenvisageables. Comment hypnotiser, travailler les sensations, psychanalyser sans la présence des corps? Sarah Serievic, psychothérapeute qui pratique le psychodrame, s’imaginait «hermétique à la visio. Je pensais secrètement que ce n’était pas sérieux mais, pendant le premier confinement, des patients en grande détresse m’ont appelée au secours. J’ai découvert la magie de l’écran. Les gros plans, voir les visages de très près m’ont permis de visualiser les émotions avant même que les patients n’en prennent conscience. Ça me permettait d’aller encore plus vite et d’explorer des choses qui m’auraient échappé en cabinet. J’ai même fait des séances en mouvement: j’ai demandé à une femme plombée, à qui je n’arrivais pas à faire dire autre chose que “oui” ou “non”, de se lever de sa chaise. Derrière elle, il y avait un tableau avec un clown. Je lui ai demandé de me parler de l’effet que lui faisait cette toile, de prendre la place du clown. Elle s’est mise à pleurer, m’a révélé tout ce qu’elle avait peur de dire sur sa relation avec son mari. Ensuite, je l’ai aidée à se faire consoler par le clown».

Convertie elle aussi à la visio, Cécile Guéret s’est servie des possibilités offertes par les caméras utilisées par ses patients, s’est intéressée avec eux aux angles de vue qu’ils choisissaient: pourquoi se filmer en plongée ou en contre-plongée? Que se passe-t-il si l’ordinateur est loin ou proche? «Qu’est-ce que cela dit de la manière d’exister, du rapport aux autres, au monde? interroge-t-elle. Un homme qui place son image tout le temps en dessous de la mienne, qu’est-ce que cela peut indiquer de son rapport aux femmes? Il y a aussi ceux qui ne peuvent pas s’empêcher de se regarder ou, au contraire, ceux qui ne supportent pas de se voir… On se questionne ensemble. Et ça, ça ne se présente pas en cabinet.»

La psychothérapeute Violaine Gelly alterne entre visio et téléphone en fonction de la thérapie: «Ceux qui sont sur mon divan en temps ordinaire s’allongent chez eux avec leur téléphone. Mais mon écoute ne peut pas être flottante comme en cabinet: je suis plus à l’affût, plus analytique, moins intuitive. Je reste consciente, très concentrée. Je me focalise uniquement sur la tonalité, les mots prononcés.»

3 Détresses à distance

Et les patients? L’hypnothérapeute Sylvie Le Pelletier a repéré chez eux «des demandes beaucoup plus existentielles, des interrogations sur leurs parcours de vie, leur couple, leur travail. Le confinement a donné le temps de se replier sur soi et peut-être ouvert vers quelque chose de nouveau, de profond, de secret».

Léa, professeure de danse trentenaire en analyse, est devenue «beaucoup plus inquiète. J’ai eu l’impression que ma vie ne m’appartenait plus: pas de boulot, pas de danse… Je me sentais déconnectée, incomprise. Je souffrais d’insomnies. La nuit, je faisais des cauchemars. J’entendais en boucle la même chanson, Le Tourbillon de la vie. Je vivais enfermée chez moi avec mon copain. Élisabeth, une étudiante de 21 ans en sciences politiques, a partagé son expérience de séances à distance avec son thérapeute pendant le confinement. Malgré la continuité du déroulement habituel et le besoin urgent de discuter de ses angoisses, elle s’est sentie inhibée par le manque d’intimité de ces consultations virtuelles. Être chez elle avec sa compagne l’a rendue nerveuse, craignant d’être entendue, alors qu’en cabinet, elle se sentait protégée et libre. De nombreux patients ont même opté pour des séances en voiture pour éviter toute interruption pendant le confinement.

Les thérapeutes ont pu découvrir l’environnement de leurs patients lors des consultations à domicile, utilisant parfois des éléments du décor pour avancer dans la thérapie. Pour certains patients solitaires ou timides, rester chez eux en audio les a sécurisés, les protégeant des regards extérieurs et de celui de l’analyste. Cela les a encouragés à aborder des sujets délicats, comme leur sexualité, mais pour d’autres, rester chez soi a renforcé leurs résistances inconscientes.

La pandémie a mis en lumière l’importance d’un lieu physique et de la présence corporelle en séance pour certains patients, soulignant les limites de la dématérialisation. L’écran ne peut remplacer les sensations et les perceptions que l’on peut avoir en personne, comme l’ont souligné certains participants. La visioconférence peut être pratique, mais elle ne peut reproduire la profondeur et l’atmosphère d’une séance en face à face.

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