Les besoins des thérapeutes : un aspect souvent négligé
Même les thérapeutes les plus expérimentés sont des êtres humains avec leurs propres émotions et besoins. Ils ont également besoin de soutien pour pouvoir déposer leurs états d’âme et continuer à pratiquer leur métier. Comment ce soutien influence-t-il leur pratique ?
Dans la première saison d »En thérapie , le psychanalyste Philippe Dayan, embourbé dans ses problèmes conjugaux et sa culpabilité de fils, désire l’une de ses patientes. C’est en acceptant – non sans mal – de revenir sur son histoire qu’il parviendra à exercer de nouveau son métier. La fiction rejoint-elle la réalité ? « Des études ont montré que la stigmatisation empêche des cliniciens de recourir à une psychothérapie par crainte d’éventuelles “répercussions professionnelles”, déplore Mariana Plata, psychologue et chroniqueuse pour le site Vice. Une récente thèse de doctorat de l’université Antioch de Seattle, écrit-elle, visait à identifier la prévalence, les obstacles et les interventions à mener en cas de détresse chez les psychologues.
Selon l’analyse, 81 % des psychologues étudiés souffraient d’un trouble psychiatrique diagnosticable (un grand pourcentage était léger) : troubles de l’humeur, de l’alimentation, toxicomanie, dépression, anxiété et autres dysfonctionnements de la personnalité. » La démarche d’aller consulter fait heureusement davantage consensus au près des psys français, quelle que soit leur approche.
Pour offrir un accompagnement de qualité
En psychanalyse ou en gestalt-thérapie, le cadre est plus strict : tout comme la supervision, la thérapie individuelle est jugée indispensable. « En TCC, le thérapeute dispose d’outils, validés scientifiquement – ceux utilisés en séance et destinés à rendre le patient plus autonome – pour analyser ce qu’il ressent ou qui lui vient à l’esprit, justifie le psychiatre. Le tiers utilisé n’est simplement pas le même qu’en psychanalyse. »
Pour mettre à distance leurs émotions
Toutes les personnes qui se destinent à ce métier se distinguent par leurs grandes sensibilité et empathie, mais aussi par le désir puissant de sauver l’autre, qui prend souvent racine dans leur vécu. Difficile d’y échapper, surtout au début de sa pratique. « Les premières années, je voulais absolument faire au mieux, ne pas me tromper, asseoir ma légitimité, témoigne la psychanalyste Sophie Cadalen, autrice de L ‘Aventure du divan (Philippe Rey, 2024). De même qu’un écrivant rêve du statut d’écrivain, la plupart des psys fantasment le moment où ils se sentiront tout à fait sûrs d’eux. Je n’avais pas encore cette assurance dans l’intranquillité. Accueillir un patient est une responsabilité vertigineuse. Se dégager du besoin d’être validé – pour ne pas dire aimé – s’apprend. »
Pour désencombrer la relation avec leurs patients
On a beau se savoir plus stable émotionnellement et mieux « outillé », travailler sur l’humain n’est jamais une mince affaire ! « L’analysant vient taper dans nos incohérences et les recoins de notre vécu, rapporte Sophie Cadalen. Il y a même parfois des transferts agressifs. Disposer d’un endroit où nous pouvons déposer les armes est très aidant. » La pratique peut d’ailleurs s’en trouver considérablement enrichie, comme elle le raconte dans L ‘Aventure du divan : « Avec la mort de ma mère, j’ai découvert le “jamais plus” tangible, écrasant. Pour reconnaître cette “catastrophe”, il a fallu que je retourne voir mon psychanalyste. J’y allais au départ pour des tourments d’amour, sans faire le lien avec l’impact de la perte subie. Ce fut déterminant et libérateur. Je me suis mise à mieux entendre réellement les patients endeuillés. »
Lorsque le psy travaille à partir de sa propre subjectivité, comme en gestalt-thérapie, la démarche sonne comme une évidence. « Notre outil, c’est nous-même, explique Claudia Gaulé. Le gestalt-thérapeute n’hésite pas à exprimer ce qu’il perçoit de son client, de la dynamique relationnelle qui s’est installée entre eux. Il peut même dévoiler son ressenti (fatigue, énervement) s’il estime que c’est utile pour l’éclairer. Nous n’hésitons pas à “mouiller la chemise” ! Même au bout de trente ans de métier, je ne suis pas à l’abri d’un événement personnel qui puisse me troubler suffisamment pour réduire ma disponibilité. » Désencombrer la relation thérapeutique, pour la gestalt-thérapeute Maryse Laurenceau, c’est presque un devoir : « J’ai beau avoir dix-sept ans d’analyse, j’ai besoin de continuer à renforcer ma sécurité pour ne faire courir aucun risque au client. Côtoyer son “gouffre” peut réactiver des émotions enfouies, d’anciennes problématiques que je pensais résolues mais qui se présentent sous un jour inexploré. » Sophie Cadalen va encore plus loin. « S’autoriser à reprendre le fil de sa propre analyse est une question de cohérence », estime-t-elle.
Pour quitter la posture de toute-puissance
Pour la thérapeute, « la psychanalyse défend ardemment la possibilité d’un lieu où tout peut se dire, sans être critiqué, empêché, ce qui est finalement rare dans la vie. Comme le patient, l’analyste a aussi besoin de cette possibilité-là pour quitter la posture (tentante) du “sachant” inébranlable et devenir plus humble et tolérant envers ses humanités ». Maryse Laurenceau abonde : « J’ai rendez-vous une fois par mois avec ma thérapeute et je suis encore surprise et touchée par l’impact de ses mots, de sa gestuelle, du temps qu’elle prend pour décortiquer une expression de mon visage ou une sensation corporelle douloureuse provoquée par son intervention. C’est une ouverture pour le cœur et une source d’inspiration pour ma pratique. »
À écouter ces thérapeutes, nous réalisons la « vraie » raison de leur vocation : tous tirent un plaisir énorme à être bousculés, interpellés, étonnés, voire dépassés… « Ceux qui font ce métier-là pour être rassurés sont peut-être les plus malmenés, observe Sophie Cadalen. L’analyse est une aventure à deux, à l’issue incertaine, avec ses avancées et ses reculades. Elle ne doit reposer sur aucun acquis, aucune grille de lecture ou tentative destinée à expliquer la vie, sous peine de figer le cheminement du patient. » Accepter le doute, la remise en question personnelle ? C’est le travail de toute une vie !
Le guérisseur blessé, un mal nécessaire
Pour Carl Gustav Jung, qui, un temps, côtoya Sigmund Freud, non seulement tout bon analyste devrait d’abord s’examiner lui-même et savoir se soigner pour espérer soigner l’autre, mais sa capacité à aider un patient naît aussi justement de la reconnaissance de ses propres blessures. Les chercheuses américaines Molly Cvetovac et Alexandra Adame ont mené une étude, publiée dans The Humanistic Psychologist en 2017, à partir de onze récits écrits à la première personne par des psychothérapeutes humanistes connaissant des difficultés psychologiques. Leurs conclusions apportent de l’eau au moulin de l’archétype jungien du « guérisseur blessé » : la souffrance émotionnelle du psy serait non seulement normale mais nécessaire pour favoriser la croissance psychique du patient.
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