[Hilda, 72 ans, est très émotive. Elle a du mal à gérer le fait de pleurer pour la moindre raison. Elle en discute avec le psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger.]
« Je ressens un décalage entre mon âge et mon hyperémotivité », dit Hilda. [Elle fond en larmes] « Vous voyez, ça commence ! À la moindre charge émotionnelle, je me mets à pleurer comme une fontaine. Je voudrais savoir pourquoi, car cela me dérange énormément. J’ai fait des examens de la thyroïde : tout est normal. Pourtant, je pleure pour un rien ; quand je vois quelqu’un pleurer, quand j’entends une voix étouffée par l’émotion. Ce n’est pas possible. On dirait une enfant de 5 ans !
Robert Neuburger : Avez-vous toujours été comme cela ?
Hilda : J’ai toujours été sensible et émotive, mais pas à ce point.
Robert Neuburger : Avez-vous des enfants ?
Hilda : J’ai un fils de 30 ans avec qui je m’entends bien et qui va bientôt se marier. J’aimerais pouvoir faire un discours sans fondre en larmes !
Robert Neuburger : Vous pourriez l’enregistrer avant !
Hilda : [Rires] C’est une très bonne idée !
Robert Neuburger : D’où vient votre prénom ?
Hilda : Mon père était polonais et ma mère allemande. Ils se sont rencontrés en Allemagne en 1946. Quand j’avais 7 ans, nous sommes venus vivre en France, où nous sommes restés. Mon père est décédé il y a vingt ans et ma mère a 95 ans.
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Robert Neuburger : Si je voulais vous faire pleurer, qu’est-ce qui serait le plus efficace comme évocation ? L’histoire de votre famille ? De vos parents ? La disparition d’un proche ?
Hilda : [Elle pleure] J’ai coupé les ponts avec ma mère l’an dernier. Elle était à l’hôpital après un problème de santé, et elle a été tellement violente verbalement envers moi que je n’ai plus pu le supporter. Elle a toujours été violente verbalement, mais cette fois, elle m’a insultée de manière si grossière ! Une autre chose qui m’a toujours dérangée chez elle : son narcissisme. C’est toujours « moi, moi, moi ». Ça aussi, je ne peux plus le supporter.
Robert Neuburger : Quelle est son histoire ?
Hilda : À sa naissance, sa mère est décédée en couches et elle a été élevée par une belle-mère. Elle n’a jamais supporté cette famille de substitution. Elle s’est disputée avec tout le monde. Avec mon père, qui avait lui aussi un fort caractère, il y avait beaucoup de désaccords. [Elle pleure]
Robert Neuburger : Avez-vous l’impression qu’elle est consciente de sa violence verbale ?
Hilda : Je ne pense pas. C’est juste comme ça. Même si je dois admettre que c’était une femme forte qui gérait tout à la maison. Au fond, je connais moins de choses sur mon père… J’ai même fait des recherches et je pense qu’il était d’origine juive, ce qu’il a toujours nié… Tout ce que je sais, c’est que lorsque j’ai rencontré mon premier amour à 20 ans, qui était juif, mon père m’a dit que si je l’épousais, c’en était fini entre lui et moi. J’ai épousé cet homme et coupé les liens avec mon père pendant dix ans, jusqu’à mon divorce.
Robert Neuburger : Pourquoi ce divorce ?
Hilda : C’était un homme qui portait tout le poids du monde sur ses épaules. Aujourd’hui, je comprends mieux, mais à l’époque j’étais trop jeune…
Robert Neuburger : Il est certain que la dernière guerre a beaucoup perturbé les familles, surtout en Allemagne et en Pologne… Mais du côté de votre maman, ce que vous décrivez évoque plutôt un problème organique que psychologique. Ces personnes qui profèrent des insultes et des obscénités à connotation sexuelle, c’est une pathologie connue. On appelle cela un syndrome préfrontal. Cela peut survenir par dégénérescence chez des personnes très âgées, ou par une tumeur ou un traumatisme frontal. Mais là, nous abordons des sujets très sensibles et je note que vous ne pleurez pas.
Hilda : Pourtant, ce matin encore en écoutant une émission sur des personnes en difficulté. Ou l’autre jour lors du pot de départ d’une ancienne collègue…
Robert Neuburger : Avez-vous ces moments d’émotion en évoquant votre propre histoire ? Votre enfance ?
Hilda : Peut-être quand j’évoque le fait que ma mère me traitait de sorcière. Je suis une rousse naturelle, je ne sais pas si ça vient de là…
Robert Neuburger : Il y avait beaucoup de juifs polonais qui étaient roux.
Hilda : Vraiment ? Je ne le savais pas. Ma mère était aussi rousse. Lorsque j’ai fait des recherches sur mes origines, j’ai surtout découvert que mes parents n’étaient pas mariés quand je suis née. Ils se sont mariés un an plus tard.
Robert Neuburger : Vous devriez peut-être faire ce test proposé sur Internet : vous envoyez un peu de salive aux États-Unis et ils vous donnent toutes vos origines géographiques et ethniques.
Hilda : Oh oui, ce ne serait pas mal ! Cela me permettrait de savoir s’il y avait effectivement un déni dans la famille.
Robert Neuburger : Finalement, si je comprends bien, vous avez une grande capacité d’empathie. Vous souffrez en pensant à ceux qui sont rejetés, mis de côté…
Hilda : Oui, c’est ça.
Robert Neuburger : Ce que vous partagez sur votre mère laisse penser que vous avez été mal-aimée ou pas aimée du tout, et cela laisse des traces terribles. Du coup, dès qu’on évoque quelque chose qui pourrait être lié à cela, une émotion est déclenchée. Je suis impressionné par votre courage d’avoir dit à votre mère : ça suffit ! Même si vous avez attendu qu’elle ait 95 ans.
Hilda: [Laughs] Oui, I should have done it sooner.
Robert Neuburger: But it’s very difficult, because it’s a renunciation. The renunciation of obtaining the love of one’s mother. The least we can say is that she didn’t show you much of it.
Hilda: But she didn’t receive much of it herself.
Robert Neuburger: Okay, but you are not responsible for that, while she is responsible for what she made you go through. There are people who accompany their parents to their deathbed hoping they will finally receive a gesture of recognition. It’s a bit like what happened to you when you went to see her in the hospital. You hoped there would finally be something. And it didn’t work out, it’s very painful. It reminds you of the pains you have experienced, because you were probably not a welcome child… It was a time when being a single mother was difficult. You are not alone in this case. There are famous unloved people, like Georges Simenon who spent his life waiting for a word of love from his mother, which never came. I could mention others to you. You are a club! And everyone tries to get out of it in their own way. I find that yours is perhaps the least damaging.
Hilda: [Laughs] Ah, that’s kind! But it’s still handicapping, and ridiculous…
Robert Neuburger: I call that a particularism. People know you like that. You are sensitive and emotional. That’s it. And compared to your story, I would say you are doing very well!
A month later
Hilda: « I was amazed by the immense kindness I felt and by the fact that the therapist immediately found the right questions. I came out very soothed. The conclusion that my emotionality is related to an « excess of empathy » made me think, and I think it’s true. Since then, when it happens to me, I think about what was said, and it tempers it a little. I will do this saliva test he told me about, to see more clearly into my origins. »
Robert Neuburger: « We can see that Hilda had initially experienced her particularism as an organic « illness, » a thyroid problem, then as a psychiatric disorder. She was looking for a diagnosis that would account for her condition. This search is a curious yet common approach: why want to be recognized as suffering from a disease for perfectly human expressions of feelings? It is normal to be sad when you have lost someone, to feel ashamed when you have something to reproach yourself for, to cry when you have as many regrets as Hilda regarding a failing mother. Experiencing feelings is not a pathology… »
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