Laura, une femme de 40 ans, fille unique et adoptée, se retrouve confrontée à des difficultés pour établir des relations amoureuses épanouies. Après avoir réalisé qu’elle avait besoin d’une thérapie pour surmonter son sentiment d’abandon, elle décide de consulter le psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger. Ce dernier va l’aider à comprendre comment progresser pour se sentir mieux dans sa vie.
« Je pense devoir suivre une thérapie, mais ma question est de savoir de quel type. J’ai déjà essayé une psychothérapie, l’EMDR
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, le développement personnel… Je suis fille unique et adoptée. J’ai lu des ouvrages sur le syndrome d’abandon, et je m’y reconnais.
Robert Neuburger : A quel âge êtes-vous entrée dans votre nouvelle famille ?
Laura : Vers l’âge d’un an. J’ai été trouvée à quelques jours d’âge devant la maison d’une assistante sociale, puis placée en famille d’accueil avant d’être adoptée. Mes parents adoptifs ne pouvaient pas avoir d’enfants et ont fini par divorcer lorsque j’avais 13 ans. Ma relation avec ma mère était teintée de ressentiment envers mon père, qui est décédé lorsque j’avais 20 ans. Ma mère n’a pas refait sa vie depuis. Notre relation est cordiale mais distante.
Robert Neuburger : Avez-vous des grands-parents ?
Laura : Non, nous étions une famille très isolée. Ni mes parents adoptifs ni leurs parents n’entretenaient des liens proches. Nous menions une vie très fermée.
1. EMDR : méthode thérapeutique par stimulation des mouvements oculaires pour traiter, notamment, le stress post-traumatique.
Robert Neuburger : Et vous, avez-vous construit une famille ?
Laura : J’ai eu une relation de deux ans, mais je n’ai jamais souhaité me marier ni avoir d’enfants. J’ai longtemps pensé que je n’aimais pas les enfants, puis que je n’avais rien à leur offrir. Je n’ai jamais ressenti d’amour, que ce soit envers des choses ou des personnes.
Robert Neuburger : Cela vous pèse-t-il ou trouvez-vous ça confortable ?
Laura : Cela me pèse un peu. Jusqu’à récemment, je ne m’en rendais pas compte car mes parents adoptifs, très peu sociables, n’avaient pas d’amis et ne recevaient jamais.
Robert Neuburger : Mais à l’école, on peut avoir des amis et s’attacher, non ?
Laura : Oui, mais j’ai eu une relation fusionnelle avec quelqu’un pendant un certain temps, puis elle s’est brisée du jour au lendemain. J’étais plutôt dure, et je le suis toujours. Je me soucie peu des autres.
Robert Neuburger : Avez-vous des passions dans la vie ?
Laura : Je m’intéresse à diverses choses, mais j’ai longtemps cherché refuge dans des activités un peu addictives comme les jeux vidéo ou la lecture pour éviter de réfléchir et de me retrouver face à moi-même. Ce ne sont pas vraiment des passions, mais plutôt des moyens d’évasion. Récemment, j’essaie de mettre de l’ordre dans ma vie et mes désirs.
Robert Neuburger : Quand avez-vous fait votre première thérapie ?
Laura : À l’âge de 30 ans, après une rupture amoureuse. Cependant, depuis mon enfance, je ressens un malaise. J’ai eu mes premières pensées suicidaires vers l’âge de 6 ou 7 ans. J’ai l’impression de vivre sans vraiment être vivante, c’est pourquoi vers 30 ans, j’ai décidé que je ne pouvais plus continuer ainsi.
Robert Neuburger : Mais si vous avez consulté un psy après une rupture amoureuse, c’est que vous étiez quand même engagée émotionnellement.
Laura : C’était plus de la dépendance que de l’amour. Je n’étais pas amoureuse de lui, mais j’étais attachée. Notre séparation a ravivé ma blessure d’abandon et m’a poussée à faire une tentative de suicide.
Robert Neuburger : En fin de compte, si je résume votre situation, vous cherchez des raisons d’exister.
Laura : Exactement.
Robert Neuburger : Les idées suicidaires proviennent-elles du fait que vous ne vous sentez pas pleinement ancrée dans l’existence ? Cependant, j’ai quelques doutes concernant le fait que vous n’ayez pas ressenti d’émotions en quarante ans de vie.
Laura : J’en ai ressenti, mais elles étaient négatives. Je pleure facilement, par exemple. J’ai connu des émotions positives dans mon enfance, comme lorsque je faisais des poèmes pour la fête des mères en exprimant mon amour pour ma maman.
Robert Neuburger : Votre mère était-elle affectueuse avec vous ?
Laura : Oui, mais dans notre famille, l’affection se manifestait davantage à travers des cadeaux ou de l’argent. Les liens avec le reste de la famille étaient très faibles, voire inexistants.
Robert Neuburger : En réalité, vous n’avez pas été adoptée dans le sens de rejoindre une famille. Dans le processus d’adoption, il est essentiel de mobiliser l’ensemble de la famille, de sorte que les parents de vos parents deviennent vos grands-parents, leurs frères et sœurs vos oncles et tantes, et leurs enfants vos cousins. Vous parlez du syndrome d’abandon, mais étant adoptée à l’âge d’un an, je ne suis pas convaincu que ce soit le problème principal aujourd’hui. Cependant, là où il y a eu un problème à mon avis, c’est que vos parents avaient décidé de prendre soin d’un enfant sans réellement le faire « entrer dans une famille ». Ce sont des choses complètement différentes. Avez-vous eu le sentiment d’appartenir à une famille ?
Laura : Pas vraiment, en effet.
Robert Neuburger : Voilà où réside le principal problème. Il y a même des enfants qui n’ont pas été adoptés qui vivent cette situation. Appartenir à une famille, c’est bien plus que simplement être lié aux parents, c’est aussi être intégré à l’ensemble de la famille, ce qui assure une sécurité de base. C’est cette appartenance qui donne le sentiment d’exister à travers le soutien mutuel que l’on peut y trouver.
Appartenir à une famille qui vous identifie, vous connaît, vous dit “tu ressembles à untel…” c’est très important. Et chez vous, ça n’a pas été fait. Ce que vous vivez depuis des années est beaucoup plus lié à cela qu’à votre adoption.
Laura : Que dois-je faire, alors ?
Robert Neuburger : Marche arrière. Mais c’est déjà bien de savoir à quoi l’on est confronté. Et je pense que si les thérapies n’ont pas marché, c’est qu’elles s’attaquaient à ce syndrome d’abandon qui, vous en avez fait l’expérience, ne semble pas s’effacer avec vos différents essais thérapeutiques. Je crois qu’une recette pour vous accrocher, ce serait de trouver un groupe dans lequel vous vous sentiriez bien.
Laura : Ce qui est bizarre, c’est que je ne me sens jamais à ma place dans un groupe, même quand il y a des gens que j’aime bien…
Robert Neuburger : Parce que le problème n’est pas relationnel. C’est l’appartenance au groupe que vous ne ressentez pas. Ce que je vous propose est que vous trouviez un moyen de vous sentir reconnue et utile dans un groupe. Vous pourriez entrer comme bénévole dans une association qui s’occupe d’enfants, adoptés ou non. Même si vous ne vous sentez pas utile, ce seront les autres qui vous diront que vous l’êtes. Et c’est cela qui vous permettra d’aller de l’avant.
Laura : J’ai l’impression que je ne le mérite pas. Je suis persuadée que je ferais illusion…
Robert Neuburger : Écoutez, je pense que si un enfant commence à vous montrer que vous lui êtes indispensable, cela peut changer des choses. Je suis un peu directif, mais parfois il faut l’être. Je pense que ce chemin-là peut vous donner une raison d’exister.
Un mois plus tard
Laura : « Je suis sortie très remuée de la séance. J’étais persuadée depuis longtemps de souffrir d’une blessure d’abandon et que, en la guérissant, je pourrais aller mieux. Mais ne pas avoir de raison de vivre, c’est impossible à guérir ! Depuis plusieurs mois, j’ai voulu simplifier ma vie, me débarrasser du superficiel ; je m’aperçois maintenant qu’il ne me reste rien. Et je ne suis pas sûre de vouloir me créer une raison de vivre “artificiellement”… »
Robert Neuburger : « Sartre disait : “L’important n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous.” Ma proposition repose sur le fait que l’on ne peut pas “guérir” d’un syndrome d’abandon, on peut tout au plus cicatriser, ce que les tentatives thérapeutiques de Laura ont démontré. Lorsqu’on a vécu une vie avec des convictions, on finit par s’y attacher. Je ne m’attendais pas à ce que Laura adopte mon point de vue d’emblée, mais que cela fasse germer une nouvelle réflexion. Mon hypothèse lui offrait de cesser de se focaliser sur son passé et de s’ouvrir sur le futur : l’amour d’un enfant qu’elle saurait aider serait, à mon sens, son meilleur traitement. »
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