[Lors de sa première séance] En dépit d’une carrière professionnelle épanouie et d’un mariage réussi, Sylvie, âgée de 28 ans, ressent un manque de confiance en elle. Cette situation se manifeste par de nombreuses hésitations dans sa vie quotidienne, ce qui lui cause une certaine souffrance. Elle en discute avec le psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger afin d’explorer des pistes de solution.
« Je souffre d’indécision et d’un manque de confiance en moi », explique Sylvie. « Je souhaite en comprendre la raison, car cela ne semble pas évident. J’ai toujours été une bonne élève, encouragée et soutenue par mes parents, puis par mon mari. Sur le plan professionnel, j’occupe un poste à responsabilités et tout se passe bien… »
Robert Neuburger : C’est donc plutôt dans votre vie personnelle que vous êtes indécise ? Vous avez quand même réussi à vous mettre en couple.
Sylvie : [Rires] C’est vrai, je suis mariée depuis quatre ans, mais nous nous connaissons depuis longtemps ! En réalité, mes incertitudes concernent davantage mes relations avec autrui, mes amis, mes frères…
Robert Neuburger : Quand vous dites que vous avez du mal à vous décider, est-ce que vous pesez le pour et le contre, et que ça tourne dans votre tête ?
Sylvie : Exactement. Je reste longtemps sans prendre de décision, jusqu’à ce que quelqu’un le fasse à ma place. Je demande souvent l’avis de mes parents, surtout celui de ma mère, que je considère comme une bonne conseillère, ou de mon mari.
Robert Neuburger : Comment cela se passe-t-il avec vos frères ?
Sylvie : Tout va bien, même si nous nous voyons moins souvent aujourd’hui. Heureusement, nous habitons tous en région parisienne, proches de nos parents. Mon frère aîné, célibataire, est plutôt solitaire et parle peu. L’autre est marié et a deux enfants.
Robert Neuburger : Avez-vous eu des difficultés avec eux dans l’enfance ?
Sylvie : Non, j’étais plus proche du deuxième à cause de notre proximité d’âge et nous nous disputions souvent, comme tous les enfants…
Robert Neuburger : Et avec votre mari ? Tout se passe bien ?
Sylvie : Oui, tout va bien. Cependant, j’ai du mal à identifier ce qui ne va pas en moi. Il y a des moments où je ne me sens pas bien sans savoir pourquoi. Cela remet en question mes choix de vie, mon travail…
Robert Neuburger : Question inévitable : vous êtes mariée depuis quatre ans, quelque chose se profile, non ?
Sylvie : La question de l’enfant… Mes parents aimeraient bien avoir des petits-enfants. Cependant, je ne me sens pas prête. Avec l’actualité et le climat actuel, cela me fait réfléchir à deux fois. De plus, je suis très investie dans mon travail. Si je décide d’avoir un enfant, je devrais prendre du recul. Heureusement, mon mari ne me met pas la pression, nous avons encore le temps.
Robert Neuburger : Donc, en gros, tout va bien… Vous avez une vie organisée, des parents attentionnés, de bonnes relations avec vos frères, un mari aimant, un travail qui vous convient. Plutôt qu’indécise, je dirais que vous semblez anxieuse. Quelle en est la raison ? Une insatisfaction ?
Sylvie : En effet, je ne suis jamais satisfaite de mes actions, ni fière de moi… Je tends à mettre en avant les besoins des autres avant les miens. Cela dit, je me dis aussi : « Tout va bien, pourquoi me plaindre ! » [Elle pleure]
Robert Neuburger : De quand date ce manque de confiance en vous ? De l’enfance ?
Sylvie : [Silence] J’étais un peu timide, mais ce n’était pas plus que ça…
Robert Neuburger : Que fait votre frère, celui qui est le plus proche de vous ?
Sylvie : Il occupe des petits emplois en intérim.
Robert Neuburger : Vraiment ? Il n’a pas poursuivi d’études universitaires ?
Sylvie : Non, il a commencé un BTS, mais il a arrêté… Je pense que mon frère a toujours été un peu jaloux de moi, surtout parce que nos parents ont toujours mis en avant mes réussites…
Robert Neuburger : Je pense que nous commençons à comprendre un peu mieux… Votre frère jaloux a pu jouer un rôle important dans votre manque de confiance en vous. Cela peut rendre difficile votre épanouissement personnel, car sa jalousie risque de grandir avec le temps… Je pense qu’il serait judicieux pour vous de discuter de tout cela avec un thérapeute. Cependant, je sais que cela ne sera pas facile, car vous avez du mal à vous exprimer sur ce qui vous touche profondément.
Sylvie : Effectivement. Je peux parler de nombreux sujets, mais il m’est difficile d’exprimer ce que je ressens lorsque cela me concerne de près. [Elle pleure]
Robert Neuburger : Je pense que c’est principalement votre relation avec votre frère qui a affecté votre confiance en vous. Cependant, cette dynamique n’est pas seulement liée à lui, mais à toute la constellation familiale. Plus vos parents vous valorisaient, plus vous aviez tendance à vous effacer, car vous voyiez que cela affectait votre frère. Sylvie : Parfois un peu, à l’adolescence. Ce n’était pas des coups, c’était des disputes et une manière de me retenir pour que je n’aille pas en parler aux parents.
Robert Neuburger : Il ne vous ferait pas de mal d’essayer de vous exprimer, car sur ce plan, quelque chose vous manque. Vous donnez l’impression de ne pas être vraiment reliée à vous-même. Le problème, c’est que la situation n’est pas seulement dans le passé, elle perdure. Aussi, je me demande si une thérapie familiale ne serait pas opportune. Il faudrait essayer de mettre ça au point avec vos parents et votre frère, car pour le moment, c’est une impasse. Si vous avez un enfant, vos parents vont l’investir davantage que ceux de votre frère, et vous le savez. Je me demande si ce n’est pas une des raisons de votre rejet de l’idée d’avoir un enfant…
Sylvie : Il est vrai qu’en famille on ne parle pas trop de ce qu’on éprouve…
Robert Neuburger : Ce qui confirme mon indication d’une thérapie familiale. Cela ne vous empêche pas de commencer à en faire une de votre côté. Mais ne faites pas les deux ensemble, ce ne serait pas une bonne idée. Une fois que vous aurez mené ce travail personnel et que vous vous sentirez plus assurée, proposez-leur une thérapie familiale, à laquelle peut se joindre votre frère aîné si silencieux.
Sylvie : Oui, ce serait bien. Car même s’il n’est pas inclus dans mes problèmes actuels, c’est un de mes soucis : j’ai l’impression que lui aussi se sent mal, et sans savoir pourquoi.
Un mois plus tard
Sylvie : « J’étais plutôt gênée et stressée au début de l’entretien et ne savais trop quoi dire, mais les sujets sont arrivés au fil de la discussion. Nous avons pu aborder celui des relations avec mes parents et mon frère, ce qui m’a beaucoup intéressée, car je n’avais jamais pensé qu’elles pouvaient être à l’origine de mon manque de confiance en moi. Même si je considère cette première séance comme un point de départ, je ne pense pas suivre une thérapie, car je ne sais pas vers qui me tourner ni si cela aboutirait à quelque chose. Par ailleurs, je n’ose pas en discuter avec ma famille, car je ne veux pas remettre en cause l’éducation de mes parents, qui a toujours été empreinte d’amour. »
Robert Neuburger : « Si l’on prend rendez-vous dans le cadre de ces premières séances, c’est pour savoir si une thérapie serait opportune. Le feed-back de Sylvie peut donc paraître curieux. Elle n’apprend que ce dont elle se doutait déjà, à savoir qu’une thérapie serait adaptée à son cas, mais c’est justement parce que cela serait adapté qu’elle le refuse. Faire une thérapie risquerait de la rendre plus autonome, plus affirmée, et c’est ce qu’elle redoute, car ce serait courir le risque de bouleverser un équilibre familial qu’elle perçoit comme fragile. On ne peut que respecter sa décision, elle qui a tant de difficultés à en prendre. Ce qui est important est qu’elle ait pu prendre conscience de l’origine de ses hésitations et timidités dans le jeu familial entre elle, ses parents et son frère. C’est déjà un pas important, libre à elle de décider, à un moment qu’elle jugera opportun, d’aller plus loin dans la connaissance d’elle-même. »
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