[Trois ans après le décès de sa mère, Nora, 27 ans, se sent dépassée. Accompagnée par un psychiatre qui lui prescrit des antidépresseurs inefficaces, elle décide de consulter le psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger pour discuter de la nécessité d’une psychothérapie.]
Robert Neuburger : Bonjour Nora, pourquoi venez-vous me consulter aujourd »hui ?
Nora : Cela fait trois ans que je suis constamment fatiguée depuis le décès de ma mère. Je cherche à comprendre ce qui m’arrive. Actuellement, je suis suivie par un psychiatre qui me prescrit des antidépresseurs, mais je ne trouve pas de solution…
Robert Neuburger : Avez-vous d’autres préoccupations en dehors de cette fatigue ? demande le psychiatre.
Nora : Mis à part le fait que cela ait affecté mon travail, mais c’est plutôt une bonne chose car je n’aimais pas mon poste de comptable. Aujourd’hui, je suis en reconversion professionnelle pour devenir éducatrice auprès d’enfants. Ma formation se déroule bien.
Robert Neuburger : Avez-vous de la famille ?
Nora : J’ai une sœur aînée que je vois de temps en temps, et mon père que je vois rarement car nous ne sommes pas proches. Mes parents ont divorcé quand j’avais 7 ans, mon père s’est remarié et a fondé une nouvelle famille ailleurs. Sinon, je suis en couple depuis deux ans, mon compagnon me soutient et tout va bien entre nous.
Robert Neuburger : Viviez-vous avec votre mère au moment de son décès ?
Nora : Oui, nous vivions ensemble. Ma sœur aînée était déjà partie faire ses études.
Robert Neuburger : Pouvez-vous décrire votre fatigue ?
Nora : Vers 19 heures, je suis épuisée. Je peux dormir douze heures mais je me réveille fatiguée, comme si je n’avais pas dormi. En conséquence, j’ai du mal à me concentrer et à réfléchir durant la journée…
Robert Neuburger : À part ce symptôme de sommeil, avez-vous d’autres problèmes ?
Nora : J’ai traversé une véritable période de dépression où je ne voyais plus l’intérêt de continuer à vivre…
Robert Neuburger : Ces troubles apparus après le décès de votre mère, vous ne les aviez pas avant ?
Nora : Ils sont survenus six mois après. C’est pourquoi j’ai fait le lien. Après sa mort, j’ai emménagé avec mon copain de l’époque, mais je ne me sentais pas soutenue. Je l’ai quitté pour retourner vivre dans la maison que je partageais avec ma mère. C’est là que tout a commencé.
Robert Neuburger : Parlez-moi de votre mère. Qui était-elle ?
Nora : Elle était très intelligente. Née en 1950, elle avait vécu beaucoup de choses. Elle était douce, drôle. Mais elle avait traversé des moments difficiles. Mon père l’avait trompée, elle avait tenté de se suicider lors de leur séparation. Ensuite, elle avait pris des antidépresseurs, et quand nous nous retrouvions seules, je dormais avec elle car elle ne voulait pas être seule.
Robert Neuburger : Donc vous étiez un peu son antidépresseur ? Cela lui faisait du bien que vous soyez proche d’elle. Combien de temps est-elle restée dans cet état ?
Nora : Je sais que j’ai dormi avec elle jusqu’à mes 13 ans.
Robert Neuburger : Et pourquoi avez-vous décidé de quitter le lit de votre mère ?
Nora : Je voulais dormir seule. Je me suis dit : « Bon, maintenant, je vais faire comme tout le monde, je vais dormir seule car je suis grande. »
Robert Neuburger : Et ensuite, votre mère est-elle restée triste ou a-t-elle réussi à sortir de sa dépression ?
Nora : Elle allait mieux, même si elle pouvait être triste par moments. Elle est devenue assez solitaire et fumait beaucoup. Elle n’a jamais cherché à refaire sa vie. Elle disait qu’elle était dégoûtée des hommes.
Robert Neuburger : Puis-je vous demander de quelle maladie est décédée votre mère ?
Nora : Elle est morte d’un cancer du poumon. Ma sœur et moi nous attendions à ce qu’elle développe un cancer car elle fumait énormément, même si elle avait essayé de passer à la cigarette électronique. Le cancer a été diagnostiqué assez tôt, donc nous avions de l’espoir, mais les médecins ne nous donnaient pas d’informations précises. Nous avons dû faire nos propres déductions. Quand nous avons appris que le cancer s’était propagé, nous avons compris. Mais le silence des médecins a fait que je n’étais pas préparée. [Elle pleure.]
Robert Neuburger : Votre mère était-elle consciente de ce qui lui arrivait ?
Nora : Je pense que oui, car elle souffrait énormément… On lui donnait beaucoup de médicaments contre la douleur, avec des effets secondaires insupportables. Elle ne mangeait plus, vomissait…
Robert Neuburger : Et vous l’avez accompagnée tout au long de sa maladie ?
Nora : Oui, mais à l’hôpital, on lui a administré des soins palliatifs sans nous expliquer ce que c’était. Les médicaments la rendaient confuse, et elle est partie sans avoir pu nous dire au revoir. Elle m’avait confié qu’elle voulait mourir, mais ma première réaction à sa mort a été la colère.
Robert Neuburger : Avez-vous pensé qu’on avait peut-être accéléré le processus à sa demande, sans que vous en soyez informée ? Vous n’avez pas pu comprendre ce qui se passait ni vous y préparer…
Nora : Exactement. Puis elle a fait une embolie pulmonaire et n’a plus repris conscience…
Robert Neuburger : Mais elle sentait votre présence. Vous savez, les personnes qui sont dans un coma léger peuvent ressentir les présences autour d’eux. Je pense que votre maman a ressenti une présence. Étiez-vous entourée lors de l’enterrement ?
Nora : Il y avait beaucoup de membres de la famille, mais que je connais à peine… Ensuite, pour la succession, ma sœur n’a pas voulu s’en occuper, et c’est moi qui ai pris en charge les papiers et le rangement des affaires de ma mère.
Robert Neuburger : Au fond, vous avez été assez seule dans toute cette situation… J’ai l’impression que depuis le départ de votre papa, la famille n’a plus très bien fonctionné. Elle n’a plus joué son rôle de contenant émotionnel. Elle s’est rétrécie, et ce qui restait, c’était vous et votre maman. Vous avez vécu très proche toutes les deux, vous l’avez beaucoup soutenue et accompagnée, puis après le rangement de la maison, vous vous êtes retrouvée « au chômage », dans un grand vide. Aussi, je pense que non seulement vous avez perdu quelqu’un de très important, mais en plus vous avez perdu votre rôle. Et je trouve excellente votre idée d’aller vous occuper d’enfants petits, car je crois que vous avez besoin de retrouver ce rôle d’aidante. Pour moi, c’est la meilleure thérapie. Bien plus que les antidépresseurs.
Nora : Mais n’ai-je pas besoin d’un thérapeute pour m’aider ?
Robert Neuburger : Pour le moment, je ne pense pas. Vous occuper d’êtres fragiles et vous intégrer dans une équipe de manière à ne pas être trop seule me semble plus approprié. En revanche, plus tard, lorsque vous aurez réintégré la vie, retrouvé une place d’aidante qui vous convient, alors pourquoi pas. Car tout de même, je trouve que votre maman a un peu abusé de vous, de votre place de petite dernière se retrouvant dans un rôle de soutien. Mais en attendant, plongez dans votre formation. C’est le meilleur traitement.
Un mois plus tard
Nora : « J’ai l’impression d’avoir plus avancé en une heure avec cette séance qu’avec mon psychiatre habituel, qui me prescrit des médicaments. Ce qui m’a le plus frappée, c’est ce que le thérapeute m’a dit de mon rôle d' »antidépresseur » avec ma mère. Je crois que je m’en doutais, mais je ne l’avais jamais formulé ni entendu formuler. Même chose pour cette fonction d' »aidante » dont il a parlé et qui a été une découverte pour moi. C’est intéressant que cela rejoigne mon choix d’orientation professionnelle. Ça a renforcé mon désir d’aider des enfants. »
Robert Neuburger : « Se sentir déprimé n’est pas le signe d’une maladie, mais du fait que quelque chose ne va pas dans notre vie. Cela s’appelle un symptôme. Tout un chacun peut éprouver ce sentiment, du moment qu’il rencontre des difficultés devant lesquelles il se sent impuissant et qui vont alors s’exprimer sous la forme de symptômes, ici, la « fatigue ». On voit dans le témoignage de Nora que le fait qu’on ait traité son symptôme comme une maladie, en lui prescrivant des médicaments, ne l’a pas beaucoup aidée, bien au contraire… Il serait souhaitable que certains médecins n’oublient pas qu’un symptôme est aussi un langage, celui de la souffrance, celle de ne pas se comprendre et de ne pas être compris… »
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