Dépassez vos blessures d’enfance en les reconnaissant

par adm
Connaitre ses blessures d'enfance pour les dépasser

Retourner à l’enfance pour guérir nos blessures

Il était une fois notre enfance, ses fées, ses loups et ses forêts obscures, toujours tapis en nous. Pourquoi faudrait-il y retourner ? Parce que nos blessures d’alors portent leurs ombres sur nos vies d’adultes. Mais aussi parce qu’en elle réside la source de notre joie et de nos talents enfouis.

Mon amie Delphine me raconte dans quels abîmes elle se sent plonger. Son frère vient de perdre son travail, sa femme l’a quitté, et il est venu trouver refuge sur le canapé de Delphine, que sa présence ramène brutalement en arrière, au temps où ils étaient petits. Leur mère avait fui leur père, elle était momentanément au chômage et alitée, et eux se retrouvaient livrés à eux-mêmes, courageux mais un peu égarés tout de même. Alors qu’elle me décrit le vertige d’angoisse et de chagrin qui la saisit en revivant ces moments, j’ai la vision de l’Alice de Lewis Carroll chutant dans le terrier où elle a suivi le Lapin blanc. Parvenue tout en bas, Alice boit le flacon sur lequel est écrit « Buvez-moi », et aussitôt, elle rétrécit. Plus tard, elle goûte les biscuits laissés sur un guéridon (« Mangez-moi ») et grandit au point de ne plus pouvoir passer les portes d’un dédale dont elle cherche la sortie.

Enfant, ce conte me parlait au corps, je ne sais pas comment le dire autrement. Ce qui arrivait à Alice (chuter, rétrécir, pousser démesurément, chercher une issue) illustrait si bien ce que l’on ressent, enfant, dans l’étrange expérience de grandir. Mais aussi ce que l’on éprouve encore souvent, adulte, contenant les poupées russes de ses âges successifs, lorsque l’on se sent toujours petit à l’intérieur, toujours habité par ses chagrins, ses enthousiasmes, ses colères, ses rêves d’enfance et d’adolescence. Et toujours fragile.

Explorer nos traumas pour en guérir

Tout se joue avant 6 ans. Les grandes personnes que vous êtes devenues se rappellent peut-être ce bestseller des années 1970, du psychologue américain Fitzhugh Dodson. Destiné au grand public, il affirmait, de manière moins caricaturale qu’on ne le croit, ce que les grands psys pour enfants de la première moitié du siècle (Melanie Klein, Donald W. Winnicott, John Bowlby, Daniel Stern…) avaient découvert : l’importance des premières années dans le développement de notre personnalité. Si tout n’est pas déterminé une fois pour toutes (tout peut se rejouer, se soigner), nos premières relations affectives et nos traumas précoces influencent nos vies d’adulte et il importe de les explorer si l’on veut en guérir. « Quand je serai grande, s’était promis la petite Françoise Dolto, rudoyée par une mère inconsolable après le décès de sa sœur, je tâcherai de me souvenir de comment c’est quand on est petit. » Elle en avait l’intuition : pour devenir un bon « médecin de l’éducation », comme elle se représentait son futur métier, et pouvoir aider les enfants avec leurs souffrances, il lui fallait demeurer en relation étroite avec sa propre enfance.

Alors qu’elle faisait ses premiers pas comme psychanalyste, de l’autre côté de l’Atlantique, le psychiatre américain Eric Berne posait les bases de sa théorie : l’analyse transactionnelle. C’est à lui que l’on doit la notion d’enfant intérieur, devenue si populaire dans le monde des thérapies. Pour Eric Berne, notre psychisme était habité par trois « états du moi » : le Parent, garant des règles et valeurs héritées de notre éducation ; l’Enfant, qui conserve la trace de nos émotions et blessures enfantines ; et l’Adulte, vivant dans l’ici et maintenant en plus ou moins bonne harmonie avec les deux premiers. Ces trois états cohabitent en nous.

L’adulte que nous sommes cherche son équilibre entre son enfant et son parent intérieurs. Parfois, l’un ou l’autre prend le dessus : l’enfant déborde de joie, crie ses peurs ou ses besoins inassouvis ; le parent juge durement l’adulte pour ses faiblesses ou le console. En séance, l’analyste transactionnelle Laurie Hawkes se montre très attentive aux manifestations de l’enfant intérieur de ses patients. « Lorsque l’enfance a été difficile, celui-ci peut occuper le devant de la scène, passer du rire aux larmes, chercher la fusion. Ou bien il est exclu, banni par un adulte qui se montre terriblement raisonnable, sérieux, distant. »

Revisiter l’enfance est une étape essentielle en thérapie, car « il s’agit de pouvoir intégrer toutes les parties de soi, cesser de rejeter ou haïr ce qu’il y a de plus fragile et de plus authentique en nous ». L’enfance, explique encore la thérapeute, est « la source de notre spontanéité, de nos désirs profonds, de notre créativité. Le seul lieu où nous puisons le sentiment d’être nous-mêmes, sans fard, vivants ». Mais lorsqu’il y a eu des traumatismes importants, « elle demeure comme un trou dans lequel nous pouvons encore tomber. Et il importe de ne pas aller l’explorer trop tôt, sans avoir développé un adulte solide et un parent intérieur gentil ».

Arrêter de fuir son passé

Quelques jours après l’arrivée de son frère, Delphine me raconte un rêve. Elle est dans la maison de sa grand-mère et fait du tri à l’étage. Elle entend des pas, descend l’escalier et se retrouve devant une petite fille qu’elle reconnaît comme étant elle-même. La petite est forte, assurée, elle tient une sorte de lance-pierre et menace de casser des objets. Delphine découvre qu’elle tient la même arme qu’elle et la brandit en faisant attention de ne pas blesser la petite. La petite a cassé quelque chose sans le faire exprès. Ses parents sont là, ils voudraient qu’elle s’excuse mais n’ont aucune autorité sur elle.

Dans son rêve, Delphine protège une sorte de lampadaire qui donne l’heure (un objet à la Lewis Carroll !) et remonte à l’étage. Elle sent bien, en me le racontant, que son rêve est profondément thérapeutique. Il l’invite à faire du tri dans son enfance, à contacter ses forces, prendre soin d’elle, se détacher de sa culpabilité de petite fille de parents séparés. Elle est descendue vers son enfance puis a regagné, tranquille, l’étage de sa vie d’adulte. Un souvenir lui revient : elle avait besoin d’un cahier. Sa mère, qui comptait le moindre centime, l’envoie à l’épicerie acheter le moins cher. Rentrée chez elle, Delphine se revoit coudre sur le cahier la jolie couverture d’un ancien cahier qu’elle aimait.

Ce souvenir, me dit-elle, est emblématique du travail qu’elle effectue avec sa psy : revisiter son enfance, non pas pour s’attarder sur ce qui a été douloureux, mais pour comprendre quelles ont été et sont encore ses ressources. Quand le ciel s’assombrit, Delphine continue de faire de belles choses avec ses mains. « J’ai parlé à mes fils, me confie-t-elle aussi. Je leur ai raconté les moments difficiles de mon enfance. Et comment j’ai malgré tout construit ma vie. À un moment, il faut cesser de fuir son passé et l’assumer. »

POUR ALLER PLUS LOIN

Prendre soin de l’enfant intérieur – faire la paix avec soi, Thich Nhat Han, Pocket
L’enfant intérieur blessé : dix étapes pour devenir son parent réparateur, Geneviève Krebs, Eyrolles

TEST – Prenez-vous soin de votre enfant intérieur ?
Nous avons tous, enfoui au fond de nous, un enfant intérieur, une part inconsciente de notre identité, construite au gré de nos expériences heureuses et malheureuses, et ce dès, notre enfance. Cet enfant intérieur est précieux : il participe pleinement à notre construction d’adulte, forge notre personnalité et notre manière d’être au monde. En prenez-vous soin ?

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