À l’âge de 57 ans, Sabine, une femme divorcée et mère de cinq enfants, exprime un sentiment d’immobilité. Lorsqu’elle en parle au psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger, la discussion se concentre sur la façon dont elle établit des liens avec les autres. Il devient évident que Sabine a tendance à vouloir que les autres se confient rapidement à elle, lui dévoilent leurs failles, sans vraiment comprendre les implications de telles demandes.
« Je me demande si j’ai besoin ou non d’un vrai suivi », explique Sabine. « Je suis dans une période où je suis à l’arrêt, sans perspectives. Par ailleurs, cela m’intéresse de voir comment vous fonctionnez, car j’aimerais bien faire du coaching pour aider les gens. »
Robert Neuburger : Que faites-vous dans la vie ?
Sabine : J’avais monté une petite entreprise qui ne marche plus, mais ce travail ne m’a jamais vraiment intéressée. Il faudrait que je me lance dans autre chose.
Robert Neuburger : Quelle est votre vie relationnelle ?
Sabine : Compliquée… J’ai divorcé en 2012 après vingt-cinq ans de mariage, cinq enfants, une vie très bourgeoise, et je me suis retrouvée assez seule.
Robert Neuburger : Avez-vous refait couple depuis votre divorce ?
Sabine : Non, j’ai eu des histoires, dont une qui a duré deux ans avec un homme que j’ai quitté il y a six mois. Depuis, il me harcèle de mails, d’appels, alternant déclarations d’amour et menaces de violences physiques. On me dit de porter plainte, mais je ne peux pas envoyer en prison quelqu’un que j’ai aimé ! Il appelle aussi mes enfants, mes amis, me calomnie… Ce qui est terrible, c’est que je n’ai rien vu venir. Je me demande s’il n’est pas en train de me détruire, et ça m’a donné envie de vous rencontrer.
Robert Neuburger : En effet, on ne peut pas banaliser cette menace constante… Vos enfants vivent-ils avec vous ?
Sabine : Non, ils sont grands. Le plus jeune vit avec son père. Les autres sont mariés et ils vont tous bien.
Robert Neuburger : Qu’est-ce qui vous a fait divorcer ?
Sabine : Mon mari ne supportait pas que je ne sois pas toujours à sa botte. Il explosait régulièrement. C’est lui qui a demandé le divorce et a voulu le régler très vite, en homme d’affaires qu’il est. Le fait que j’aie accepté aussitôt l’a rendu dingue. Il n’a eu de cesse de me dénigrer auprès de toute la famille.
Robert Neuburger : Avez-vous un réseau d’amis ?
Sabine : Pas vraiment… D’abord, nous avons beaucoup vécu à l’étranger, et, quand on divorce, on perd les amis du couple. J’ai reconstruit un petit cercle, mais là encore, ça a été problématique, car le mari d’une amie s’est déclaré fou amoureux de moi. Je n’ai pas compris ce qui arrivait, j’ai refusé ses avances et me suis retirée. Mais ça a fait des remous, et je me suis retrouvée vraiment seule. Je suis souvent sollicitée par les compagnons des femmes que je fréquente, or je ne provoque rien. Je suis devenue très méfiante dans les relations.
Robert Neuburger : Dans votre récit, on a l’impression que vous déclenchez des passions.
Sabine : C’est ça. Et je ne sais pas pourquoi. Avant mon mariage, je n’ai eu qu’une seule relation, qui s’est mal finie elle aussi, dans la violence et les menaces de suicide. Mais c’est peut-être parce que je vais vers les passionnés ? Je tombe sur des hommes qui s’engagent beaucoup, et c’est moi qui décroche…
Robert Neuburger : Enfant ou adolescente, attiriez-vous le regard des hommes ?
Sabine : Pas du tout ! Ce n’est pas physique ! C’est quand je commence à échanger. Je rentre tout de suite dans l’intime, pas avec ambiguïté, mais parce que j’ai besoin de savoir comment fonctionne la personne.
Robert Neuburger : Qu’entendez-vous par “entrer dans l’intime” ?
Sabine : Je n’aime pas les relations superficielles. J’aime connaître tout de suite les failles de l’autre, parce que je préfère les gens avec des failles et une sensibilité. Du coup, on se reconnaît tout de suite. Pas plus tard que le week-end dernier, un homme qu’on m’a présenté dans une soirée s’est mis à me raconter ses problèmes avec ses enfants, son ex…
Robert Neuburger : On peut penser que ce sentiment d’intimité que vous créez, provoquant les confidences des hommes, fait qu’ils investissent énormément en vous. Quelqu’un qui offre cette possibilité de s’ouvrir autant est ressenti comme quelqu’un qui s’engage. Donc, si vous laissez tomber, pour l’autre, ce n’est pas pardonnable, la chute est très rude. Votre attitude n’est pas prudente.
Sabine : Mais on ne peut pas toujours rester en surface !
Robert Neuburger : Je ne juge pas. Je réponds à la question : pourquoi les hommes réagissent-ils ainsi avec moi ? Mon avis est que vous jouez avec le feu sans vous en rendre compte. Si vous faisiez une formation de thérapeute, vous apprendriez qu’il y a des champs où il ne faut pas aller, des choses qu’il ne faut pas faire. Dans notre métier, on apprend la prudence, de manière à ne pas déclencher ce genre de phénomène. Vous êtes attirée par les passionnés, mais peut-être aussi par des gens un peu isolés.
Sabine : C’est vrai que ce sont des hommes assez seuls, même s’il y a de la famille ou un entourage…
Robert Neuburger : C’est là qu’il faut faire très attention à ne pas déclencher de dépendances affectives. Ce ne serait pas mal que vous vous demandiez pourquoi vous avez besoin de tant creuser chez l’autre.
Sabine : Si on veut avancer dans une relation, on a besoin de connaître l’autre !
Robert Neuburger : Mais ce qui vous manque, c’est de vous interroger sur la manière dont c’est reçu par l’autre. Quel impact cela a-t-il sur les autres de s’ouvrir ainsi ? Lorsque l’on ouvre des vannes, il est essentiel de savoir les refermer par la suite. Peut-être serait-il bénéfique pour vous de discuter de ces questions avec quelqu’un, car cela semble devenir récurrent. Qu’est-ce qui vous empêche de reconnaître qu’il est parfois dangereux, pour vous et pour les autres, d’agir de la sorte ? La plupart des personnes en sont conscientes.
Sabine : Vraiment ? Je ne vois pas du tout…
Robert Neuburger : Parfois, il est nécessaire de frapper à une porte avant de l’ouvrir.
Sabine : Je préfère une autre métaphore : avant d’entrer, j’ai besoin de voir où je mets les pieds. Et si j’ai besoin de fouiller, c’est peut-être pour me rassurer.
Robert Neuburger : Je suis d’accord. Mais les autres peuvent le percevoir comme un engagement de votre part.
Sabine : Vous avez raison. C’est pourquoi je me retire, car ce n’est pas un engagement pour moi.
Robert Neuburger : C’est le scénario. J’imagine un enfant qui démonte un jouet pour voir ce qu’il y a à l’intérieur. Maintenant, vous savez ce qui se cache à l’intérieur…
Sabine : Alors, quelle est la solution ?
Robert Neuburger : Il n’y a pas de solution immédiate. Je pense sincèrement que vous devriez consulter quelqu’un. Le thérapeute ne vous dévoilera pas ses tripes. C’est à vous de vous ouvrir.
Sabine : Comment puis-je aider les autres au lieu de les blesser ?
Robert Neuburger : En distinguant un cadre professionnel d’un cadre intime. Ce n’est pas la même chose. Vous ne pouvez pas agir comme un coach dans l’intimité. En thérapie, c’est possible. C’est une question de cadre.
Un mois plus tard
Sabine : C’était intéressant et positif, mais nous avons dévié sur un sujet différent de celui pour lequel j’étais venue : pourquoi j’étais bloquée. La discussion a tourné autour du harcèlement, et je ne suis pas d’accord avec ce que le thérapeute m’a dit. Il semblait penser que c’était moi qui provoquais des réactions passionnées par mon attitude, alors que je ne force personne, je veux simplement éviter la superficialité. Certaines de ses questions ne correspondaient pas à mon ressenti. De plus, les situations de harcèlement ne sont pas si fréquentes après tout.
Robert Neuburger : La première phrase de Sabine est révélatrice : « Cela m’intéresse de voir comment vous fonctionnez. » Sabine observe le monde par le trou de la serrure, sans se rendre compte qu’elle en fait partie et contribue ainsi aux réalités qu’elle rencontre. Si elle aime analyser la psyché des autres, elle ne voit pas l’impact de son attitude. Elle fait partie de ces personnes qui lancent des briques en l’air et sont surprises de les recevoir sur la tête. Autrement dit, elle se retrouve seule et incomprise. Il est important de comprendre comment elle s’est enfermée dans ce mécanisme de défense où elle ne se sent jamais responsable de ce qui lui arrive.
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